Elle m’a abandonné

Cet après-midi, l’auxiliaire de puériculture qui s’est occupée de Mister A en pouponnière nous rend visite. Il a une place dans sa vie et réciproquement. C’est avec plaisir qu’on lui donne régulièrement des nouvelles et qu’on la retrouve cet après- midi.

On déguste des financiers au Nutella qu’elle a concoctés avec Mister A, tout en regardant les albums retraçant ses 3 premiers mois. Sur l’un des clichés du photographe, Mister A est porté dans les mains de quelqu’un et sa référente fait cette remarque : « C’est étonnant ça ! Pour les bébés abandonnés à la naissance, on fait attention à ne rien laisser paraître normalement ».

Plusieurs dizaines de minutes après, en plein jeu de « Uno », Mister A nous dit : « La dame qui m’a porté dans son ventre, elle n’était pas gentille ».
– Nous : « Mais pourquoi tu dis ça ? » On s’attend toutes les deux à la suite. Son auxiliaire lui a tout expliqué de l’adoption alors qu’il était nourrisson. Quant à moi, j’ai été préparée par l’ASE pour ne pas être étonnée et trouver les bons mots.
– Lui : « La dame qui m’a porté dans son ventre, elle m’a abandonné !»

Il y a de l’émotion dans sa voix qui se coupe. Je sens mon fils triste. C’est la première fois qu’il emploie ce terme si juste mais si dur pour un enfant d’un peu plus de 7 ans. Je lui prends la main. On lui reparle à deux de son histoire sans l’édulcorer mais en y voyant tous les bienfaits pour lui.
« Oui tu as été abandonné mais la dame qui t’avait dans son ventre t’a abandonné sans jamais te laisser seul. Elle t’a confié au personnel de la maternité en vue de préparer ton adoption. Elle s’est dit qu’elle ne pouvait pas s’occuper de toi et a choisi que tu aies des parents qui puissent te faire grandir. Elle a choisi pour toi une vie et un avenir qu’elle a pensé meilleurs. Elle s’est souciée de toi ».

Le soir, nous nous retrouvons tous les deux après le départ de sa référente. Il est dans mes bras. On se fait un câlin assis comme cela nous arrive souvent. Je profite de ce moment de complicité pour ré ancrer les éléments de son histoire dans un contexte positif : « Tu sais chéri, concernant ton abandon, rien n’est de ta faute. Tu n’as rien fait de mal. Tu étais un tout petit bébé. De suite après ta naissance on s’est occupé de toi. C’est par ton abandon que tu es devenu adoptable et c’est ce début d’histoire qui nous permet d’être une famille aujourd’hui ».

Je cherche à être cette maman qui rassure et sécurise. En fond sonore, la chanson d’Hoshy « Mauvais rêve » tourne. Elle évoque le harcèlement scolaire. L’ambiance devient un peu pesante. Je deviens cette maman qui serre fort son fils, la tête sur son épaule pour cacher son émotion car, je le sais, Mister va devoir composer toute sa vie avec cette réalité qui viendra parfois le questionner.

Sauvée par le quoicoubeh

Les trajets en voiture jusqu’à chez mamie (40 minutes aller-retour) semblent assez longs pour que Mister A me pose des questions.  Après m’avoir parlé durant 10 minutes de ses hésitations entre avoir plus tard une motocross ou une moto de sport, arrive la conservation suivante :

Mister A :  » Maman, Alexandre il m’a dit qu’il était africain. « 

Moi :  » Je ne pense pas. Le papa d’Alexandre il a plutôt la peau blanche. Sa maman est peut-être née en Afrique mais si son papa est né en France, Alexandre il est plutôt métisse « .

…. Un peu plus tard

Moi :  » Chéri, Alexandre, comme toi, comme ton ami Adel il est français. Il est français parce qu’il est né en France mais après on a des origines différentes. Regarde papa, lui par exemple, il a des origines plutôt allemandes par son papi parce que l’endroit où il habitait faisait partie à des moments de la France et à d’autres moments de l’Allemagne. « 

Mister A :  » Ha d’accord . Moi maman j’ai quoi comme origines ? « 

Moi :  » Quoi ? « 

Mister A : » Quoicoubeh « 

Moi :  » Rho, ça suffit avec ce mot ! « 

Je viens de gagner un peu de temps pour réfléchir à la façon dont on va lui parler de ses origines ethniques. Pour une fois ce « quoicoubeh » m’arrange.

La réunion au département

On se retrouve à 40 personnes postulantes à l’adoption lors de la réunion d’information collective organisée par le Conseil Général.

Dans les bonnes nouvelles nous apprenons qu’en France, les conseils de famille privilégient les couples mariés. Je trouve que ça fait un peu démodé pour les personnes en union libre mais c’est un avantage pour nous, mariés la décennie dernière.

Dans les alertes sur l’adoption, on nous répète que « le risque de la famille adoptive ce n’est pas l’adoption, c’est de ne pas prendre en compte l’abandon, les cicatrices, les ruptures, les inconnus sur la santé physique et psychologique de l’enfant ». Sont détaillés des pays où le dossier médical et les éléments du parcours de l’enfant ne sont pas fiables. Sont détaillées des problématiques d’enfants assez graves : syndrome d’alcoolisation fœtale, VIH, que les parents adoptifs découvrent dans un second temps.

J’avoue que je ne sais pas trop comment me situer face à ces exemples plus difficiles à entendre les uns que les autres. Est-ce qu’on nous dit le pire pour nous faire changer d’avis. Est-ce qu’on teste notre motivation ? C’est sûr que l’adoption d’un enfant est une particularité car il y a à la base un traumatisme, mais là ce qu’on nous présente, c’est un enchainement de difficultés de grande ampleur.

On saisit avec le Man’ que l’essentiel de ces mises en garde concernent l’adoption internationale. En France, même si rien n’est « assuré », les suivis de grossesse et les rendez-vous médicaux permettent de connaitre l’état de santé des enfants.

Les chiffres de l’adoption internationale sont en chute libre, divisé par 2 en 7 ans. On apprend qu’à l’étranger, désormais, les enfants petits sont adoptés au sein de leur pays d’origine et que ceux proposés en adoption sont dit « à besoins spécifiques ». Je n’aime pas ce terme qui semble stigmatisant au premier abord. Il regroupe en fait les enfants ayant des problématiques de santé avec une possible incidence sur la vie future, les fratries et les enfants grands (à partir de 5 ans). Un enfant de moins de 3 ans, c’est quelque chose qu’on peut envisager mais de plus de 5 ans de suite, c’est compliqué.

Concernant l’adoption nationale c’est-à-dire au sein du département, on nous présente la situation des bébés pupilles né sous le secret (ou sous x). La plupart de ces enfants n’ont pas de troubles de l’attachement et vont pouvoir s’intégrer dans leur famille. Approximativement, sur ce profil d’adoption, on nous annonce un délai d’attente de 5 ans. Je trouve ça immensément long.

La procédure de l’agrément est ensuite un peu plus explicitée.  Ici, elle va être conduite par une psychologue et une assistante sociale qui doivent « évaluer si notre projet de construire une famille est réaliste par rapport à la réalité de l’adoption aujourd’hui ». Trois rencontres vont avoir lieu et apparemment il va falloir revenir sur toute notre vie, de notre enfance à maintenant. L’équipe de l’ASE nous indique que l’agrément est un cheminement et que l’adoption est « la dernière des protections pour un enfant ».

A la fin de la réunion, on choisit de repartir avec le dossier officiel de demande d’adoption à compléter.