Sauvée par le quoicoubeh

Les trajets en voiture jusqu’à chez mamie (40 minutes aller-retour) semblent assez longs pour que Mister A me pose des questions.  Après m’avoir parlé durant 10 minutes de ses hésitations entre avoir plus tard une motocross ou une moto de sport, arrive la conservation suivante :

Mister A :  » Maman, Alexandre il m’a dit qu’il était africain. « 

Moi :  » Je ne pense pas. Le papa d’Alexandre il a plutôt la peau blanche. Sa maman est peut-être née en Afrique mais si son papa est né en France, Alexandre il est plutôt métisse « .

…. Un peu plus tard

Moi :  » Chéri, Alexandre, comme toi, comme ton ami Adel il est français. Il est français parce qu’il est né en France mais après on a des origines différentes. Regarde papa, lui par exemple, il a des origines plutôt allemandes par son papi parce que l’endroit où il habitait faisait partie à des moments de la France et à d’autres moments de l’Allemagne. « 

Mister A :  » Ha d’accord . Moi maman j’ai quoi comme origines ? « 

Moi :  » Quoi ? « 

Mister A : » Quoicoubeh « 

Moi :  » Rho, ça suffit avec ce mot ! « 

Je viens de gagner un peu de temps pour réfléchir à la façon dont on va lui parler de ses origines ethniques. Pour une fois ce « quoicoubeh » m’arrange.

La fête de l’école

Hier on a eu la fête de l’école. J’ai posé mon après midi pour assister à ce petit moment pour mon bonhomme. J’ai rattrapé le raté quand mon mari m’a dit le matin : « ils étaient tous déguisés. Il avait juste son pantalon rouge, son tee shirt de père Noël, les autres avaient des bonnets. Il n’était pas content ce matin ». Ni une ni deux j’ai fait les boutiques. Je suis revenue avec le serre tête renne à guirlande clignotante (oui c’est vrai), des lunettes Rennes (dorées avec un nez rouge) et le fameux bonnet du Père Noël.

Les parents se sont installés, les enfants sont arrivés ensuite devant nous, sur des estrades, les grands, les moyens et les petits de la maternelle.

Il regardait ses pieds, il n’était pas bien. La maîtresse que nous avons rencontrée il y a quelques semaines nous a dit qu’elle n’avait pas entendu le son de sa voix, qu’il ne se mélangeait pas aux autres enfants durant les temps de classe. Je n’ai plus été étonnée, j’ai compris, il avait peur. Peur du monde, 80 enfants et leurs parents, le tout exité, content, bruyant.

En me voyant il a voulu venir me voir mais ce n’était pas possible. Il s’est mis à pleurer. Il avait besoin d’être rassuré. C’est bon, ça je l’ai maintenant décodé. Je n’allais pas faire la mère de famille poule puis c’était compliqué pour un groupe donc je lui ai envoyé des bisous qui s’envolent, je lui ai parlé fort de façon apaisante,il pleurait et commençait à taper autours de lui. La maîtresse est allée l’installer auprès de son atsem, ça a déjà été beaucoup mieux. Il était dans le groupe des enfants à rassurer. Il a pleuré et a regardé dans le vide durant les 20 minutes de représentation de la petite chorale.

Je l’ai récupéré dans un état de mal être. D’abord il s’est accroché à mon cou puis ensuite il s’est débattu quand nous avons essayé d’aller manger un bout avec les autres. Marche arrière, tentative de câlin, de contention, le tout en l’isolant vers un côté de la salle de jeux qui était quasi vidée. Il s’est débattu comme à son habitude je pourrais dire. Je me suis dit attention à mon dos avec ses 15 kg et son mètre dépassé pour ses presque 3 ans et demie, ça va être physique. Certains parents ont été étonnés de nous voir dans ce moment. D’autres ont compris qu’il avait besoin d’apaisement. La maîtresse vraiment douce, aidante, nous a proposé d’aller en classe et comme moi elle lui a parlé : « ça faisait beaucoup de monde pour toi, ça a été difficile c’était trop et je crois que tu as eu peur. Tu es avec ta maman dans la classe, tout va bien. Regardes, tu peux t’installer à la petite bibliothèque et vous pouvez lire un livre ». Il avait les yeux rougis, le nez réclamant l’aide de mouchoirs. Opération mouchage, câlin, mots d’apaisement. Il a commencé à se détendre, à parler car avant ce n’était que des gestes d’agressivité (les griffures, les petits poings) et des sons ressemblant à des grognements.

Une fois détendu on est ressorti. La fête était un peu finie et drame il n’y avait plus de gâteau. Il m’en parlait avant qu’il parte en pleurs donc cette fois c’était la frustration qui l’a remis en difficulté. J’ai eu droit à l’enfant qui se laisse tomber façon poids mort. On nous a trouvé des Délichocs et un Célébration. On est reparti au plus vite de ses capacités (15 minutes) pour changer d’univers et gérer la frustration. On s’est arrêté à la boulangerie pour ce que j’ai appelé une « chocolatine de Noël ». J’ai pris un café. On s’est attablé sur des tables hautes. C’est bon la crise ou les crises étaient passées.

Je n’avais pas pensé que ça allait se dérouler comme ça mais maintenant je crois que c’est bon, je le comprends, je ne prends pas ses réactions de façon personnelle. Il a fait des progrès mais il reste ce petit garçon insécure. J’ai compris, il a besoin d’un environnement qu’il connaît ou s’il ne le connaît pas pour le moment il est rassuré quand il a sa base d’attachement à ses côtés ( c’est nous ça). Celle sur laquelle il va se reposer ou exprimer ses sentiments. Quand notre petit garçon est insécure, il se débat de tout son corps. J’ai compris qu’il allait progresser et aussi régresser de façon plus ou moins importante et qu’on avait à le soutenir.

Je sais aussi que ce soir, en allant le chercher à la garderie, parce que j’arrive tard et qu’il n’y a plus trop de monde,il parle, il joue avec les autres enfants, il rigole, il s’amuse.

Il grandit, on grandit. Il apprend, on apprend.

La visite à domicile de l’assistante sociale

Aujourd’hui c’est notre deuxième rendez-vous avec l’assistante sociale. Elle vient à notre domicile pour continuer son enquête et évaluer nos conditions matérielles pour l’accueil d’un futur enfant. Cet été, lors du premier rendez-vous, j’étais tendue par l’enjeu. J’avais fait une insomnie la veille de notre rencontre. J’avais le ventre noué à l’idée que de nos échanges allait se jouer un pan important de notre vie.

Un mois est passé. Nous sommes vendredi, c’est un jour de RTT pour moi, donc ce matin, je passe au peigne fin l’ensemble de notre maison. Je laisse le bazar du quotidien. Il est hors de question de se montrer sous un autre jour. Cependant, je cède à la tentation de nettoyer tous les sols ! Objectivement cela n’apportera rien mais me voilà à astiquer chaque mètre du parquet flottant de notre étage avec des lingettes de cire. C’est assez ridicule mais en occupant mes mains, j’évite de trop penser. Bon, je ne m’attaque tout de même pas au lessivage des vitres qui attendront leur nettoyage annuel !

13h, le Man’ sort du travail puis on guette l’arrivée à la maison de l’assistante sociale. On « révise » un peu les idées importantes que l’on souhaite développer.

Je ne suis pas des plus à l’aise lorsqu’elle passe la porte. Je pense qu’un intérieur de maison reflète des personnalités et j’ai envie qu’on arrive à transmettre les nôtres lors de ce second entretien.

On a déjà évoqué les bases administratives de notre situation : métiers, ressources, charges principales, employeurs ainsi que notre parcours vers l’adoption. Là, il faut plus se dévoiler sur notre éducation, nos passages de vie difficiles, la façon dont nous les avons surmontés. Ce n’est pas simple de s’adonner à cet exercice. Ce n’est pas naturel et c’est même assez intime.

Je stresse, je manque de spontanéité car exerçant dans un domaine professionnel proche, je perçois les attendus derrière chaque question.

Je sens qu’elle veut se faire une idée de nos valeurs éducatives, de notre comportement et nos attitudes en situation de parentalité. Les questions qu’elle soulève me paraissent surprenantes tant les réponses me semblent évidentes. C’est celles que je peux poser lors d’agréments d’assistantes maternelles lorsque j’ai besoin de lever des doutes, de tester les capacités d’adaptation. Je me sens donc complètement évaluée.
L’adoption c’est le droit pour un enfant d’avoir des parents adaptés à sa personnalité et à ses besoins. Je sens cette notion de « contrôle social » à travers ses demandes du type : « S’il prend des CD sur votre étagère, que faites-vous ? S’il dessine sur vos chaussures neuves avec un feutre, qu’allez-vous faire ? »

En deux heures cinquante, on évoque beaucoup de choses : la vision que l’on a de nos parents, les liens avec notre fratrie de notre premier âge à aujourd’hui, ce que nous aimerions transmettre ou pas de notre éducation. En parlant de nos enfances respectives, j’ai l’impression qu’elle valide les paroles du Man’ alors qu’elle insiste sur des moments de ma vie qui me paraissent anecdotiques : la garderie du soir, le choix des activités de loisirs. Je réponds de façon sincère sur mes ressentis mais les souvenirs datent d’il y a trente ans.

Je crois que c’est en deux ou trois entretiens qu’elle doit se faire une idée de nous alors nous sommes un peu poussés dans nos retranchements, invités à préciser nos réponses. Elle nous répète qu’avoir un enfant et surtout un enfant par adoption, « c’est carton ». Comme on en a très envie, au fil de notre échange on lui indique qu’on saura trouver l’équilibre entre sécurité, limite et attention pour rendre notre vie à trois des plus harmonieuses. On ajoute que si cela n’est pas suffisant, on se fera aider.

Avant de partir, elle fait le tour de toutes les pièces de la maison. En fermant la porte, avec le Man, on souffle un grand coup. On a remué nos souvenirs, raconté notre rencontre, parlé de nos parents dont mon papa décédé. On a donné de notre personne. On a mis tout notre cœur pour détailler et argumenter notre souhait de devenir parents par adoption. On est bien fatigué mais satisfait de nos propos qui reflètent bien nos histoires, notre couple et notre projet d’adoption.